Parti de Manizales, une ville perchée à 2700 mètres d’altitude sur la cordillère des Andes en Colombie, passé par le Missouri, puis la Martinique, le jeune chef Estéban Salazar se retrouve « comme dans un rêve », selon ses mots, dans son restaurant parisien à cuisiner face à la Tour Eiffel à Paris ! Quel parcoure pour ce jeune homme qui officie dans le flambant neuf Carmona, un resto chaleureux situé dans le 16ème arrondissement, avenue de New-York, l'autre ville phare qui manque aujourd'hui à son palmarès... 

 

Lorsque l'on rentre chez Carmona, on oublie en un instant que l'on se trouve sur les berges de la Seine avec la dame de fer qui scintille face à vous. C'est dans une sorte de patio andalou, lumières tamisées, fontaine en pierre blanche (et en eau !), murs ocres et plantes tropicales qui vous accueillent. A votre droite, un bar de poche niché dans une alcôve pour boire un verre avec, encore et toujours, la vue sur l’icône parisienne de monsieur Eiffel. Face à vous, la cuisine ouverte face à laquelle on peut dîner, quatre tabourets permettant de se hisser à hauteur de gamelles pour voir officier la brigade. C'est intéressant comme « table du chef » même si l'on a un peu l'impression de dîner dans l'entrée et que l'hiver, les allées et venues des clients depuis la rue font entrer une brise froide qui contraste avec la chaleur des lieux...

 

Les plus frileux (et ceux qui n'auront pas la chance de trôner à cette table du chef assez exclusive) passeront dans la grande salle toute en longueur et plus cocooning. Toute la décoration a été signée par le créateur de mode Alexis Mabille et se veut refléter l'art de vivre de l'Andalousie puisque la carte est un mélange d’influences méditerranéennes fortement marquées par l'Espagne (Carmona étant une ville proche de Séville...). Le studio d’architectes Beau Bow by Alexis Mabille a donc souhaité recréer l’ambiance chaude d’une soirée d’été en Andalousie et l'on a l'impression de « dîner dehors » sous les arches parsemées de coquillages et les lanternes en fer forgé, confortablement assis dans des fauteuils en cannage. Le plafond recouvert de miroirs agrandi la salle qui n'est pas si vaste. Mais, où que vous soyez assis, vous serez face (ou de dos pour ceux qui laissent les banquettes aux dames !) à la Tour Eiffel. Un emplacement digne de la série Emily in Paris qui explique sans doute pourquoi de nombreux touristes sont déjà clients de cette adresse inaugurée à l'automne 2022. Vraiment rien à dire côté salle et déco, le dépaysement est total et fonctionne très bien...

 

Qu'en est-il des assiettes dressées par Estéban Salazar ? Elles sont aussi joyeuses et envolées que le décor ! Des produits frais, de saison et si possible locaux sont mixés avec inventivité et servis avec originalité, puisqu'ici pas d'entrées et de plats mais des petites assiettes que l'on commande à la volée et que l'on partage (comptez de 9 à 30 euros l'assiette). Vraiment rien à voir avec la gastronomie parisienne traditionnelle. Ce qui accentue l'exotisme de la soirée. On hésite un peu et puis on se lance et l'on commande dans le désordre... Ce soir-là, les croquettes de choux frisé et mascarpone aux agrumes accompagnent à merveilles les pimientos de padron, simples mais délicieux. Les pleurotes grillées au barbecue et le jaune d'oeuf confit à l'huile d'ail sont l'un des incontournables du chef qu'il faut absolument s’offrir s'ils sont à la carte. Tout comme la tortilla de la abuela (sa grand-mère) qui vous fera oublier toutes les tortillas sèches et sans saveurs que vous avez un jour mangées dans les bodega à touristes de Barcelone ! A suivre, un maigre de ligne à la braise et ajo blanco très bon, un filet de cochon jus corsé à l'ail noir et roquette parsemée de poudre de citron noir puissant. Le paleron de Castille grillé surprend par sa délicatesse et sa finesse. Il est accompagné d'une sauce de pimientos piquillos et salade de jeunes pouces très goûteuses. La carte des desserts est très courte et pas l'argument de poids de Carmona, Estéban Salazar reconnaissant qu'il n'est pas pâtissier et qu'il sort donc des desserts de cuisiniers, simples comme ces churros gourmands à partager...

 

Reste que sa cuisine est vraiment réjouissante car elle ose et s'amuse, comme seul un cuisinier du « nouveau monde » peut offrir sans culpabiliser. Estéban Salazar est un jeune chef doué et métissé de moult influences. Lui qui a appris le français en Martinique (ou plutôt le créole ce qu'il a compris en débarquant une première fois à Paris et en se rendant compte que son français n'était pas tout à fait celui des parisiens !). Un français qu'il maitrise aujourd'hui brillamment avec un débit de mitraillette après avoir, donc, passé quatre ans dans un éco-lodge martiniquais où il réélisait une cuisine entièrement autosuffisante, faisant avec son équipe et des ingénieurs agronomes du coin, son propre sel, vinaigre, beurre, charcuterie...

 

C'est une autre jungle qu'il affronte aujourd'hui avec cette première cuisine parisienne qu'il commande et qui ne sera pas la dernière. Un colombien de plus à Paris à suivre de très près...

  

Restaurant Carmona
10 avenue de New York
75016 Paris
https://carmona-paris.fr/